Edito

Le terme de mutation, qui a souvent servi à caractériser le contemporain, prend aujourd’hui une acuité nouvelle et spécialement critique. Des phénomènes biologiques accélérés, à l’échelle de la planète tout entière, sont venus rappeler la fragilité de nos organismes humains, sociaux et économiques. Ces bouleversements, qui se succèdent les uns aux autres avec une rapidité jamais expérimentée, recouvrent des mouvements plus lents qui ne s’interrompent pas pour autant.

Parmi ces évolutions, certaines ont trouvé un écho particulier dans les séries d’images que nous avons reçues l’an dernier et cette année, et notamment celles qui concernent l’identité culturelle, l’identité sexuelle et la parentalité. Les principes qui voudraient que l’on soit assigné pour toujours à un territoire, à un genre, à un statut social, sont fréquemment remis en cause, alors que, à l’opposé, l’aspiration à des identités locales, nationales ou familiales réaffirmées se répand, parfois sous des formes autoritaires. Les photographes de la sélection 2021, immergés dans un monde qui est intensément le leur, sont sensibles à ces questions perpétuelles mais particulièrement aiguisées aujourd’hui.

Du refus de l’enracinement ad vitam eternam dans l’endroit qui nous a vu naître, mais aussi de l’impossibilité d’oublier sa propre origine, d’effacer toute précédence, témoignent deux séries sur l’immigration des européens en Amérique du Sud aux XIXème et XXème siècles, et une troisième sur les traces des mouvements de population entre Allemagne et Pologne après guerre.  Le complexe et délicat travail d’émancipation, lorsqu’il s’agit de ne renier ni les provenances ni les traditions, est lui observé chez de jeunes allemands issus de l’immigration. Nous assisterons également, dans cette édition, à des tentatives d’échapper à la détermination de genre, et à une mise en cause sans ménagement des représentations souvent univoques de la maternité. Assignation, émancipation : associer ces deux termes, c’est venir au cœur des questions posées à la parentalité. Entre incarnation de la loi et mise en retrait, voire effacement, la fonction de père se situe au cœur de ces tensions. De cette figure paternelle sans cesse appelée à rassurer, à protéger, et pourtant condamnée à défaillir, traitent plusieurs travaux présentés cette année, principalement sous l’angle de la relation père/fille. Le deuil, ses rites en évolution et ses difficultés sont également présents dans les préoccupations de plusieurs jeunes photographes. L’attention au devenir des territoires périphériques de la ville et des paysages est perceptible dans trois propositions, en exposition ou en projection. Sur un plan plus conceptuel, et comme c’est souvent le cas aux Boutographies, plusieurs séries toucheront directement aux questions de représentation par la photographie, et notamment au rapport entre celle-ci et son référent.

Enfin, et sans être exhaustif sur cette édition qui programme cinquante-huit auteurs au total (expositions et projections confondues), une large place est donnée cette année à un collectif de jeunes photographes français. Comme en point d’orgue sur la question des déplacements de repères auquel nous assistons de toutes parts, le groupe VOST nous propose sa vision des métamorphoses et des altérations de l’époque avec son installation Transfiguration, spécialement re-pensée pour la grande salle du Pavillon Populaire. Comme chaque année, la sélection officielle est prolongée par les nombreux sites du Hors les murs disséminés dans la ville et alentours, et par quantité d’évènements autour de la photographie. Parmi ceux-ci, ne manquez pas l’exposition rétrospective des vingt années du festival, salle Saint Ravy, qui vous remettra en mémoire ou vous fera découvrir les grandes étapes et les moments forts de ce long compagnonnage avec les talents stimulants de la photographie de création européenne.

 

 

Pour l’équipe des Boutographies,
Christian Maccotta
Directeur artistique

Christian Maccotta

Christian Maccotta