PASCALE PEYRET

France

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Offrandes

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Il ne subsiste de son heure de gloire que les bâtiments des communs ; l’église et le cloître ont été pillés et détruits après la réforme. Comme lors de la révolution française, ils ont fait office de carrière ; la belle bâtisse qui abrite le musée où je vais séjourner est entièrement construite en pierre ce qui est rare en Norvège.

Dans l’enceinte du cloître, 3 grands hêtres veillent ; plantés à la mémoire de 3 petits êtres disparus trop tôt, ils s’élèvent vers le ciel et offrent leur ombrage aux promeneurs. Leur troncs stigmatisés par les amoureux qui scellent leurs noms dans leur écorce. 3 petits êtres devenus confidents des amours d’hier et d’aujourd’hui.

Je tombe sous le charme du lieu, ses arbres centenaires, la vue sur le fjord, la pelouse verte qui descend en pente douce vers la jetée, un endroit privilégié pour observer le long coucher de soleil ; l’astre suspendu ne se résoudra pas à disparaître derrière les îles, les ombres s’allongent et la lumière diffuse de belles couleurs mordorées.

Je découvre la pierre néolithique intégrée dans la construction de la jetée ; onze petites capules (cavité/ cuvette) patiemment creusées voici 3 ou 4 mille ans. Cet ouvrage est fascinant, combien d’offrandes, combien de sacrifices, offrandes à la nature si présente, offrande aux éléments tellement palpables : la lumière, le vent, la mer, cette pierre me parle, elle dit nos origines, elle impose le respect des choses de l’univers.

Mon travail sera une offrande, une offrande à la nature, un rituel qui fera mémoire, « in memoriam ». Mon offrande sera de boutons d’or, de digitales, de pierre, de feu. Chacune de mes photos est une cérémonie, un geste qui s’inscrit dans la mémoire où se mêlent l’histoire des hommes, la communion de la nature et la présence des légendes.
Le rituel du sténopé se combine à celui de l’offrande. Chaque photo est un temps de pose méditatif, une communion au monde.

Le 22 juillet, la tragédie de Utoya me rattrape, alors que le pays endeuillé pose un geste, un mot, une fleur à la mémoire des jeunes victimes, j’improvise une « chapelle ardente » aux enfants massacrés ; autant de bougies comme autant de victimes veillent de leur flammes fragiles ; plus que les photos qui témoignent, c’est le rituel, qui m’importe, là, dans l’un des premiers bâtiments chrétiens de Norvège, dans les ruines du cloître, je choisis les vestiges d’un four qui forment une sorte d’abside. Une à une j’allume autant de bougies en hommage aux petites victimes, la clarté vient de l’intérieur. Plusieurs heures durant les bougies comme autant de sentinelles réchauffent animent et éclairent ce lieu séculaire où on a tant prié. Toute la journée mon oratoire improvisé sera baigné de lumière ; chaque petite flamme palpite comme la vie dont ces jeunes ont été privés. Le sténopé enregistre lentement leur ballet. Quand tout est fini, les silhouettes des bougies sont comme des fantômes, certaines portent des ailes de cire.

Le lendemain sur les rochers qui bordent le rivage je trace une rivière de sang avec des baies rouge vif…

Pascale Peyret
Halsnoy Kloyster, Sunnhordland Museum
Juillet-Aout 2011