Présentation
« Quand Rimbaud, dans une lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 s’exclame « je est un autre » le poète exprime alors le paradoxe universel de la création artistique. Celle qui vient des tripes, de l’intérieur, si profond qu’elle semble avoir été insufflée de l’extérieur. Derrière son caractère extraordinaire, des heures de labeur, comprendre et apprendre à contrôler d’abord. Particulièrement dans le cas des portraits, où le corps n’est alors qu’une marionnette, pantin de chiffon qui dédouble dans le monde réel l’imaginaire de celle qui les manipule. Lorsqu’il s’agit d’autoportrait, ce rapport est souvent faussé, comment se dédoubler entre le devant et le derrière de l’objectif ? Comment garder les rênes en se laissant aller. Finalement pour se comprendre, n’est-il pas nécessaire de se mettre dans la peau de l’Autre ?
Suivant cette problématique, Sophie Boss nous emmène dans un voyage de l’au-dedans par une double réflexion sur le soi.
Tout d’abord violente, cette réalisation d’un corps qui change, mue et mute à chaque cliché, sans aucune stabilité apparente. Des greffes photographiques qu’on aurait presque envie de rejeter au premier coup d’œil. Il y va de l’illogisme quand une tête de femme dans sa grâce et sa légèreté se pose sur un corps tout en virilité. Il y va de l’incompréhension dans ce théâtre d’effigie où les corps séparés oscillent entre immobilité morbide et renouveau de la dynamique vitale. Certains clichés semblent crier « Sophie est morte, longue vie à Sophie ! ».
De cette inquiétante étrangeté nait un renforcement de l’expression dramatique des sens et des sentiments. La surprise, la peur, la tristesse, se lisent plus aiguës les unes que les autres dans le visage de la photographe soulignés par l’écho des corps exposés. Ainsi masqués et anonymes, les modèles sont plus libres d’exprimer le spectre des émotions sans se cantonner à la simple gêne de la nudité. Echange réciproque et intime où l’une se cache pour se livrer et les autres, travestis, se voient délivrés.
Un pacte se crée au cœur de ce jeu de rôle où « je deviens toi et tu deviens moi », quelques soient nos différences, les voilà désormais estompées, floutées. Cette communion répétée finit par dépasser le couple sacré du modèle et de l’artiste. C’est toute l’assemblée qui semble se fondre en une humanité unique et diverse à la fois. Ces corps, ce corps, c’est vous, c’est moi. «
Mélissandre L.