Colin Delfosse

Éditions 77

Toute arme forgée contre moi sera sans effet

40,00 € Acheter en ligne

2015

Format 21 x 28 cm

80 pages

978-2-9552412-0-2

Présentation

La nuit vient de tomber comme une ivrogne sur Kinshasa. Sur l’esplanade goudronnée attenante au marché de Mzée Kabila, à l’incertaine périphérie de la capitale où s’entassent dix millions de Congolais, Six Bolites enfile son masque de tissu étoilé et grimpe sur le capot d’un van qui a sans doute connu la dernière guerre. Au son des fanfaristes perchés sur le toit d’une bagnole repeinte aux couleurs nationales, des grappes d’enfants et de badauds venus des citées de Massina, Ngili ou Matete se mêlent au défilé en scandant son nom et celui des catcheurs qui ce soir, une fois encore, vont s’affronter sur le ring.

Kinshasa est une tempête sur un lac de lave. Muimba Texas, Mabokotomo, Petit Cimetière et États-Unis restent l’émanation la plus frappante de cette furie quotidienne. Ces hommes, chauffeurs de taxis, vendeurs à la sauvette ou pour les plus chanceux, gardes du corps, sont les nouveaux héros de la nuit kinoise. Leur charisme force le respect et inspire la crainte. Deux atouts majeurs dans une ville aussi bondée et compétitive que Kinshasa. Aux dernières heures du jour, après avoir décroché de leur quotidien, ils revêtent masques et tenues pour défier ceux qui comme eux ont soif de gloire. Lorsque sonne l’heure du combat, ils entrent de plein pied dans un autre destin, dans une vie fantasmée ouverte à toutes les ambitions. La misère ambiante, les aléas du quotidien s’éclipsent pour faire place au spectacle.

Dès les années 70, la RTNC (Radio-Télévision Nationale Congolaise) diffuse des matchs de catch américain. Très rapidement, il suscite des vocations : les catcheurs congolais appliquent à ce sport spectaculaire et technique un aspect féticheur qui leur est propre. Quelques années plus tard, les terrifiants Edingwe, Puma Noir et Kele Kele apparaissent sur le petit écran. Leur magie noire va marquer toute une génération. Grace à leurs fétiches, ils arrachent les tripes de leurs adversaires, leur gobe les yeux ou les font totalement disparaître. Les anciennes parures tribales viennent compléter le tableau. Les panoplies de sorciers sont reprises, avec des interprétations nouvelles. Aux coiffes flanquées de cornes de bêtes et aux peintures corporelles viennent s’ajouter des éléments issus de la culture américaine et du christianisme. Ainsi voit-on surgir des croix, des toges, des chapelets. Ces trois univers s’entremêlent d’une façon baroque, et les mimiques mi menaçantes mi drolatiques que tiennent les combattants sont plus proches de la comedia dell’arte, avec ses masques et ses bouffons, que des shows de la World Wrestling Entertainment.

Ces ballets mystiques entre les quatre cordes d’un ring sont une synthèse improbable des danses traditionnelles et du sport spectacle américain sauce ketchup. Les Congolais ont rassemblé deux disciplines que tout distinguait au départ pour en créer une nouvelle : le catch féticheur, performance autant sportive qu’artistique. Et quasi divine.